La vie passée du monstre
Je ne sais pas comment en parler. Je ne sais pas comment aborder la chose. Je ne sais pas comment faire pour que les choses deviennent naturelles.
Je n'arrive pas à vivre avec mes cicatrices.
Elles me dégoutent. Pas seulement ça, mais les souvenirs de ma lente descente.
“Je crois que si je cherche la raison de tout ça, je pourrai
la trouver dans deux principales choses : mon père dépressif (entre
autres) et mon obsession pour les régimes. Je partirai de la deuxième hypothèse
même si je suppose que le mal être remonte à plus longtemps.
Lorsque j’étais en primaire, je me suis
liée d’amitié avec une fille extrêmement mince et belle. Elle avait tout ce que
je voulais. Mais elle faisait un régime, elle était « trop grosse ».
Quand on a huit ans, on ne juge pas forcément les choses correctement. J’ai
commencé moi aussi, mon premier régime : ne manger plus que des légumes
crus. J’étais grosse, terriblement grosse par rapport à cette fille. Mon régime n’a forcément pas tenu le coup et j’ai
alors découvert la frustration de ne pas manger. Pour la première fois peut-être
je me suis sentie nulle, incapable, laide. J’ai perdu cette amie de vue en
entrant au collège, mais pas mes nouveaux complexes. J’ai enchaîné les régimes
draconiens et les frustrations. J’ai accumulé du stress et ai commencé à avoir
des troubles avec la nourriture. C’était dès lors devenu une obsession. J’ai
pris beaucoup de poids. Je me sentais tellement laide, tellement
grosse que je n’avais qu’envie de me cacher. Quand je rentrais les soirs, j’étais
déprimée, « sale ». Je mangeais systématiquement jusqu’à en avoir
mal. Sans faim. J’ingurgitais des aliments dégueulasses pour oublier. C’est
comparable à l’alcoolisme, oui. Je me haïssais.
Mes soirées ? Je les passais à me
lamenter dans ma chambre, dans le noir, avec de la musique à fond. J’étais une
incapable, une moins que rien. J’ai commencé en cinquième à avoir des idées
noires. Je suis devenue vraiment grosse. C’était un vrai cercle vicieux :
plus je mangeais, plus je grossissais ; plus je grossissais, plus je me haïssais ;
plus je me haïssais, plus je mangeais. Une spirale sans fin.
Je m’énervais pour un rien, et lorsque
je piquais une crise de colère, c’était contre moi qu’elle finissait. J’avais
envie de me détruire. J’ai commencé par de simples griffures, frustrantes.
Je suis entrée au lycée, et rien ne s’est
réellement arrangé. J’alternais toujours ces périodes « régime draconien »
où tout allait pour le mieux avec ces passages boulimiques, où je devenais une
loque de haine. Ma maman est tombée malade à ce moment-là et je me suis
retrouvée très seule. Tout le temps seule. C’était... de pire en pire. Je me
sentais de plus en plus mal, délaissée, invisible, nulle. J’ai commencé à me
faire vomir. Je mangeais et mangeais et... je culpabilisais. J’ai aussi
commencé à « manier » le cutter. Je n’en suis pas fière. Je
continuais de grossir avec mes régimes stupides. Les idées noires
apparaissaient de plus en plus souvent. Il n’y avait que les cours pour me les
faire oublier un temps.
Ma maman est décédée. Et moi, j’ai
découvert les lames de rasoir. J’en gardais toujours une avec moi, c’était....
plus rassurant. A l’époque, j’ « aimais » faire ça. Ca me
soulageait énormément, je me sentais « puissante », un peu comme si
je maitrisais mon corps. Je me sentais... calme. Toutes les pensées qui m’oppressaient
disparaissaient instantanément lorsque le froid de la lame rencontrait ma peau.
Comme si tout n’avait plus aucune importance. J’étais vivante. Bien sur, comme
tout le monde, je crains la douleur, je déteste ça. Mais là... c’était
différent. Je ne le faisais pas tout le temps. C’était par période. Il pouvait
se passer quelques mois sans rien et puis, soudainement, je recommençais tous
les jours. A chaque fois que j’arrêtais un peu, j’avais l’impression d’en être
sortie... jusqu’à que je retombe. A l’approche d’examens, j’ai commencé à
paniquer, plus que d’habitude. J’avais peur, je me sentais vide et inutile. Je
crois que c’est pour ça que j’ai pris des cachets. Je n’avais pas envie de
mourir. J’avais juste envie de disparaître. D’arrêter de penser, d’arrêter de
souffrir. C’est ce qu’on appelle une ts. La semaine qui a suivi a été la plus
difficile. Il a d’abord fallu affronter les regards déçus des gens qui ne vous
ont jamais vue que comme « la fille ronde et souriante » et faire
face à la vie, à nouveau. L’envie de recommencer était... énorme. Elle n’a
jamais vraiment disparu. Encore parfois, elle revient à la surface, me
rappelant que je ne suis qu’une fille un peu dépressive, au fond. J’ai arrêté l’auto-mutilation
et toutes les autres choses qui me détruisaient il y a un an. Je crois qu’aujourd’hui
je peux affirmer sans crainte que c’est fini.
C’est fini. ”
Je ne veux plus souffrir, je ne veux plus me détruire.
Je ne veux plus me sentir vide.
Mais comment arriver à s'aimer à nouveau quand les autres n'acceptent pas nos erreurs passées ?
Je déteste le regard des autres, plein de dégout. Je déteste la peur et l'incompréhension qui se mêlent dans leurs yeux. Je ne suis pas anormale. J'ai des secrets, j'ai commis des erreurs. Je suis un être humain.
J'essaie de trouver la réponse sur des sites, des forums. J'essaie de trouver des gens comme moi qui me comprendront. Parce que j'ai terriblement peur.
J'ai terriblement peur.
Tout était plus simple lorsqu'il suffisait de les cacher.